Rencontre

Virginie Zajac – Le yoga au XXIe siècle : rôle, transmission et enjeux

Parmi les fédérations, la FIDHY à ce statut particulier de ne pas revendiquer de lignée mais de réunir des écoles de qualité dont elle certifie les formations. Une approche ouverte, toujours en recherche. En témoigne sa présidente.

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Le yoga vit une période de pleine expansion depuis quelques années et interagit avec le monde sur des plans divers : politique, économique, sociétal, mais aussi personnel et spirituel. Essayons d’y mettre de la lumière. Qu’est-ce que le yoga et quel est son rôle ? Quelle est la place de la pratique physique dans le yoga ? Je vais vous épargner la traditionnelle définition du mot Yug, je partirai de la parabole des deux oiseaux, de la Mundaka Upanisad : « Deux oiseaux, compagnons inséparables et portant le même nom, sont perchés sur le même arbre. L’un d’eux mange les fruits aux saveurs variées, tandis que l’autre le contemple sans manger. »

L’un picore donc sans cesse les fruits et graines, goûte les saveurs. L’autre est perché tout en haut et il regarde son compagnon s’agiter. Les fruits peuvent être salés, sucrés ou amers, même se raréfier. Celui qui picore cherche, mange, savoure, mais il va aussi ressentir de la frustration, de la peur, de la déception, de la souffrance. Les deux oiseaux nous représentent dans notre quotidien et notre recherche spirituelle. Le yoga, c’est amener l’oiseau qui s’agite à regarder vers le haut, à voir son compagnon, à vouloir le rejoindre et lorsqu’il l’aura rejoint, à se rendre compte qu’ils ne font qu’un.

Que le yoga amène du bien-être est un bénéfice collatéral et non un objectif.

Le yoga n’a strictement rien à voir avec la notion couramment utilisée de « bien-être », ni les résurgences multiples d’une vague New Age, aux sons des bains de gongs, des ouvertures de chakras et autres expériences pseudo-tantriques, destinés à combler rapidement les besoins de personnes en mal d’existence. Un peu fort ? Non. Que le yoga amène du bien-être est un « bénéfice collatéral » et non un objectif. Souvent, le chemin du yoga amène de la souffrance car il nous oblige à nous poser des questions pour avancer. Le yoga est avant tout une recherche personnelle, une discipline et une volonté d’élévation. C’est un parcours difficile, fait d’obstacles, de renoncements et d’acceptation.

Le rôle de l’enseignant de yoga

Pourquoi « enseignant » plutôt que « professeur » ? C’est un choix personnel. Enseigner, c’est faire signe, montrer, indiquer. Et cela va dans les deux sens. Un enseignant est également enseigné par ses élèves. L’enseignant va accompagner ses élèves, les guider. Peu à peu, il va leur ouvrir la porte vers une autre façon de percevoir, d’analyser et de comprendre.

Il transforme le pratiquant, rend possible son élévation, amène son regard vers le haut, son passage de l’état d’oiseau qui picore à celui qui « est ». En élevant le niveau de conscience des pratiquants, nous contribuons à l’amélioration de la société et à son élévation. Nombre d’initiatives individuelles positives (écologiques ou économiques) voient le jour grâce à la libération des personnalités.

Quel est le paysage du yoga en France en 2023 ?

Il y a un clivage dans le paysage français du yoga. Une séparation entre les cours dispensés depuis une dizaine d’années par des enseignants venus de tous horizons, formés au gré du vent (ceci étant posé sans jugement) et les enseignants issus des fédérations et écoles de formation qui ont amené le yoga en France et en Europe depuis les années 1950 et qui représentent une douzaine ou quinzaine de fédérations « historiques ». (Sans aller décompter la pléthore de regroupements divers auto-proclamés, facilement identifiables sur Internet). Les premiers n’ayant parfois aucune connaissance du travail réalisé par leurs prédécesseurs, sans lesquels rien n’aurait été possible. Un peu à l’image de cette nouvelle société des réseaux et de l’instantané.

En 2023, trois ans après les confinements et la première étude sérieuse réalisée avec les fédérations historiques par une fédération qui s’appelle la FNEY, nous savons que 20 % de la population française a déjà « pratiqué le yoga », au sens de « participer à un cours de yoga ». Soit plus de 10 millions de pratiquants, dont 7,6 sont réguliers (au moins 1 à 2 fois par mois). Ces chiffres font réfléchir. Quels types de yoga est transmis ? Dans quelles conditions ? Avec quelles formations ? Et aussi avec quels objectifs (avoués ou détournés) ?

Quelle transmission pour le yoga ?

L’enseignant transmet un savoir et aussi une expérience. Le savoir livresque n’a d’intérêt que s’il est soutenu par une pratique permettant à l’enseignant de vivre ce qu’il apprend dans les textes, dans son corps et dans son âme. La question s’est déjà posée dans les années 1970 et a donné lieu au premier regroupement de personnalités du monde du yoga d’alors, avec la création de l’Union Européenne de Yoga, et aussi à la mise en place d’un programme de formation complet en terme de matières, de nombres d’heures (500 heures au minimum) et de durée puisqu’il est de quatre ans.

La notion de durée fait peur. Elle va à l’encontre de cette société de l’instantané qui s’est développée.

Ce programme est un socle sur lequel s’appuient aujourd’hui encore nombre de formateurs. Cette notion de durée, quatre ans, fait peur. Elle va à l’encontre de cette société de l’instantané qui s’est développée. Alors, depuis une dizaine d’année fleurissent les formations en tout genre, de durées de plus en plus courtes, en ligne, en présentiel. Si une grande majorité de ces propositions ne sont vraiment pas sérieuses et relèvent de la mode et, à la limite, « du coup de cœur », il y en a quand même quelques-unes qui présentent une base construite et des intervenants de qualité.

Néanmoins, la différence entre un enseignant formé en quelques mois ou en plusieurs années est la même que celle entre un arbrisseau et un chêne adulte. Le savoir peut s’acquérir en quelques semaines, l’expérience nécessitera toujours une longue période d’apprentissage. Traditionnellement, en Inde, le disciple reste douze ans auprès de son maître.

Les enjeux du yoga en 2023

Ils sont énormes. Les chiffres de l’enquête le montrent, le yoga est devenu un enjeu économique : 20 millions de pratiquants, ce sont des millions de tapis, d’accessoires divers, de tenues ; cela représente des salles, des loyers, des assurances, mais aussi des formations, des formateurs… et enfin des financements.

De l’argent, toujours de l’argent. L’argent n’est pas le problème, c’est la position qu’on lui donne qui le rend dangereux. Si le financement devient le seul critère de décision d’une formation, on entre alors dans un processus décisionnel impropre au yoga, qui va altérer la qualité de cheminement du futur enseignant. Si le loyer du studio rend l’enseignant dépendant du nombre de pratiquants, cela va altérer l’engagement et la qualité de la transmission, etc.

Le monde du yoga n’est pas celui des Bisounours, car il intègre l’humain.

Le yoga est aussi devenu un outil politique. L’Inde utilise le yoga depuis quelques années pour promouvoir l’image du pays, détenteur d’une sagesse traditionnelle, « un cadeau fait au monde ». Il y a une volonté affichée de mainmise sur la formation et la transmission du yoga. En septembre 2022, à travers les organismes international BIS et français AFNOR, une première tentative de « normalisation » du yoga a été lancée par le ministère indien AYUSH. Le regroupement et la réactivité des fédérations historiques a permis pour l’instant d’éviter cette mise en place. Les différentes fédérations travaillent à se regrouper pour organiser la discipline, soutenir les formateurs, protéger les enseignants et les pratiquants.

Le yoga se répand et il attise les convoitises. L’argent et le pouvoir sont autant de « clignotants verts » pour les profiteurs de tous bords : dérives sectaires, détournements d’argent, agressions sexuelles… le monde du yoga n’est pas celui des Bisounours, car il intègre l’humain. Cet « humain » qui aujourd’hui plus que jamais a besoin du yoga.

Virginie Zajac est la présidente de la FIDHY.

La FIDHY

Association d’enseignants créée en 1980 dans un esprit d’ouverture aux différentes traditions du yoga et à leurs prolongements en Occident. Elle fédère des enseignants et leurs élèves, des écoles de formation et tout pratiquant sympathisant. Voici la liste des écoles affiliées dont les formations sont certifiées FIDHY et UEY, École Méditerranéenne de Yoga :
Walter Thirak Ruta, École Pramiti, Yotham Baranes, École Agama, Philippe Djoharikian, Baba School, Sreemati, Integral Vinyasa Yoga, Jeannot Margier, RVHY, Christine Haristoy, École de Yoga de l’Energie Locana Sansregret, invitée FIDHY Marie Benedic Foucher, invitée FIDHY.

www.fidhy.fr/

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