Tadition, Tradition

Concentration et méditation Les deux ailes de l’envol spirituel

Selon l’enseignement de Sri T.K. Sribhashyam, fils et disciple de Sri T. Krishnamacharya

Pratiquer le yoga c’est aller à la quête de l’âme en soi, de notre être intérieur, profond, spirituel, le reflet d’un absolu qui anime toute chose. Cette recherche spirituelle est comme un point de départ pour chercher, éveiller, percevoir l’éternel en soi, l’immuable ; autrement dit, pour parvenir à distinguer ce qui, en nous, est éphémère de ce qui ne l’est pas.

La notion de recherche spirituelle est étrangère à la pensée indienne car en Inde l’existence de l’âme n’est pas un sujet, elle n’est pas remise en cause ; la spiritualité y est omniprésente. Divinités, dieux, créateur peuplent les pensées, les villes et les maisons.

Dans la voie dévotionnelle, le but est de connaître dieu, d’être uni à lui, ce qui sous-entend une croyance en Dieu et en l’existence de l’âme implicite. Bien plus qu’une simple croyance, il s’agit plutôt d’une conviction indéfectible qui accompagne l’individu tout au long de sa vie. Bien sûr le doute existe et fait partie des obstacles à surmonter pour progresser sur ce chemin difficile et parfois tortueux.
L’approche dans cette voie se fait par la concentration et la méditation.

Un mental limité

En effet, il est nécessaire dans cette approche de se débarrasser de la limitation du mental. Le premier travail sera de nettoyer ce mental pour lui permettre de maintenir un état stable, sans perturbation, en paix, ouvert à l’infini. Les pensées, et à plus forte raison les émotions, réduisent le champ mental à son contenu. En cela, il ne peut pas refléter l’illimité, une des caractéristiques, s’il en est, du divin. « Il ne peut plus refléter l’illimité » serait plus juste et nous rappelle que pour animer la matière, le divin est présent. Par conséquent, ce qui émane de Dieu ou du Créateur est déjà présent en nous, mais il est caché, enseveli par toutes les images du monde qui nous entoure, par nos désirs et nos déceptions. Mettre fin aux limitations du mental, c’est retrouver la part divine qui est en nous.

Pour mettre fin aux limitations du mental, les toutes premières étapes se font dans notre quotidien. Comment alimentons-nous ce mental ? Quels sons, quels bruits, quelles musiques, quelles paroles, quelles images, quelles pensées et émotions recevons-nous ? Toute cette nourriture est-elle favorable à un esprit serein ou vient-elle au contraire agiter le tourbillon latent, voire déjà présent ? Quelle quantité d’information absorbons-nous ? De quelle qualité ? Il ne s’agit pas seulement d’une pratique sur le tapis pour s’envoler vers les cieux, une démarche spirituelle prend tout son sens quand elle est appliquée à tous les instants.

Comment alimentons-nous ce mental ?

Il est évidemment important de réserver un temps dans notre quotidien pour chercher l’apaisement (assis de manière stable et confortable sur notre tapis, nous enseigne le yoga). Ce rôle peut être assuré par la respiration, par la pratique du prânâyâma (comme nâdishodhana par exemple). Au cours de nos journées, le mental n’est pas toujours dans un état dévotionnel, et il lui est difficile de passer des préoccupations de la vie matérielle à un état propice à la méditation. Le prânâyâma sert alors de préambule pour réduire l’influence du contenu du mental (images, pensées, émotions) et nous aider à saisir l’objet de notre contemplation (objet spirituel).

Apaiser les émotions

Que se passe-t-il lorsque nous sommes envahis par une émotion ? Le corps réagit physiologiquement, le cœur s’emballe, la respiration est plus courte, l’esprit est perturbé. Ralentir la respiration permet d’éloigner l’emprise de l’émotion et de revenir à un état sans tension. Le prânâyâma nous aide à purifier le mental, à le ralentir, le calmer, le dégager de l’emprise des émotions afin de laisser la place à notre objet de contemplation, objet spirituel quel qu’il soit.

L’objet spirituel

Cet objet spirituel, Dieu ou le Créateur par exemple, est au-delà de toute forme du monde manifesté. Il ne doit provoquer aucune émotion humaine au risque de nous ramener immanquablement dans l’agitation mentale habituelle. Comment le mental, qui ne sait pas percevoir ce qui n’a pas de forme, peut-il saisir un objet spirituel indéfini ? Il va avoir besoin de supports spécifiques, qui, tout en respectant le principe naturel (biologique) de la perception, vont nous amener à cette perception particulière.

La concentration en pratique

Entre la respiration et la méditation proprement dite, le soutien s’obtient par la pratique de la concentration (dhâranâ). Pas n’importe quelle concentration bien entendu ; une concentration sur un seul point spécifique. La fabrication d’images à l’intérieur de notre cerveau se fait par agglomérat de points, qui, rassemblés tous ensemble, nous donne l’impression d’une image bien lisse. La pratique de la concentration, tout en s’appuyant sur ce pointillisme naturel, vise à réduire tout éparpillement du mental en le focalisant sur un seul point. Les maîtres indiens, bien avant nous, ont listé les points les plus favorables à l’obtention d’un mental stable. Ils en ont répertorié 16 fondamentaux, dont le cœur (Hrudaya, pas le cœur physique), est le plus important.
La pratique de la concentration (dhâranâ) combinée à la respiration (prânâyâma) permet au mental de refléter quelque chose qui est en dehors des formes, sans intervention d’images, de pensées et d’émotions. Cela s’appelle « vêtir le mental » pour le préparer à recevoir un objet divin (dans le sens « qui n’appartient pas à ce monde »). Il est important de noter que ces supports de concentration (les points spécifiques à utiliser pour les concentrations) sont des objets qui ne sont pas des objets d’expérience et qui ne provoquent pas d’émotions humaines.
Cette étape de concentration, dhâranâ, permet de maintenir un mental en dehors de toute image, de toute pensée et de toute attirance vers le monde de l’expérience.

Pratibodha est la conscience constante de l’âme. La Kena Upanishad (2.4) dit que Brahman est connu lorsqu’il est réalisé dans tous les états de conscience (en permanence). Ce qui signifie que derrière chaque pensée et chaque action se dresse le témoin silencieux, l’âme. En nous raccrochant constamment à ce témoin intérieur, nous pouvons rester pleinement conscients et vigilants dans toutes nos activités.
Sri T.K. Sribhashyam (1940 – 2017) – Moksha Marga p262

Les cinq sens

Être attiré par le monde qui nous entoure est tout à fait normal. Nos cinq sens de perception sont tournés vers l’extérieur ; ils sont en contact permanent avec le monde. Si nous fermons les yeux, nos oreilles entendent encore mieux. C’est donc bien tous ensemble qu’il faut les retirer de leur captation perpétuelle d’informations extérieures lorsque l’on veut pratiquer la méditation. Au quotidien, nous devons surveiller notre alimentation de sensations. Et sur le tapis, nous devons apprendre à nous couper du monde. Le retrait des sens (pratyahara) est la première étape avant d’entamer toute concentration.
Dans cette pratique les obstacles sont nombreux, et la plupart viennent de nous. Prenons l’hypothèse que le mental est la réunion d’images, de pensées et d’émotions. Nous avons là trois démons à combattre. L’image doit rester une et unique. La pensée doit être en accord avec l’attention sur l’objet et ne partir comme à son accoutumée dans les souvenirs, les correspondances et les associations qui lancent un débat interne intarissable. Enfin, l’émotion ne peut aller que vers la paix, la sérénité et la béatitude ; toute autre émotion serait le signe d’une appréciation de l’expérience en train d’être vécue ou de perte de concentration, et donc un retour à la valorisation (coloration) « c’est agréable » / « ce n’est pas agréable » propre à notre rapport au monde matériel (et pas divin). On ne médite pas pour se sentir bien… (à méditer).

L’objet divin

Nous venons de parler de prânâyâma (la respiration), pratyâhâra (le retrait des sens) et enfin dhâranâ (la concentration). Lorsque dharana est stable et maintenu dans le temps, il va permettre d’évoquer un nouvel objet, l’objet divin, qui n’est pas de ce monde et qui n’éveille pas d’émotion humaine. Il est divin car il a une constance dans sa valeur à travers le temps, signe qu’il n’appartient pas à ce monde ! La constance dans la valeur de cet objet est primordiale pour le qualifier de divin ; cette constance est la garantie que nous n’avons pas d’échange, d’attente, de vécu ni d’émotion humaine vis-à-vis de lui.
C’est pourquoi l’objet utilisé pour la méditation ne doit pas provoquer de ressentis qui ramèneraient dans la dimension spatio-temporelle limitée. L’objet peut être utilisé, à condition qu’il n’ait pas provoqué, ne provoque pas ni ne provoquera de ressentis. S’il n’y en avait qu’un, ce serait le soleil (Surya, pas celui qui est dans notre ciel), aujourd’hui on parle des milliers, voire des millions de dieux du panthéon indien.
Passer de la concentration au maintien dans le mental d’un objet divin est l’avant-dernière étape : dhyâna, la méditation.

On ne médite pas pour se sentir bien

Par une pratique constante, dhyâna amène naturellement à la dernière étape, samâdhi, la libération, le retour au divin, la perception du Créateur. « Sam » signifie « pareil » et « adhi » signifie « origine » : revenir d’où nous venons, d’où nous sommes issus, à la source. Être libéré des difficultés d’ici-bas, pour une union éternelle avec la paix et la sérénité.
La régularité
L’état mental induit par la méditation est mémorisé. C’est toujours le même qui est ré-évoqué à chaque pratique, jour après jour. C’est grâce à cette régularité, cette répétition, que nous pouvons alors parler de « pratique constante » qui amène à samâdhi. La méditation nous fait passer d’un mental rempli d’objets limités vers un mental reflétant l’illimité. C’est une manière de maintenir, de retrouver, la joie dans notre mental. Elle est le seul sentiment constant en nous. Quand la joie est en nous, nous sommes dans l’ouverture, le mental est en expansion, et nous pouvons percevoir la part du Créateur qui est en nous : notre âme.

Contact : www.yogakshemam.net

Pour aller plus loin
– à partir de sept. 2025 Formation sur 4 ans à Neuchâtel, sept. 2027 à Romans-sur-Isère
– du 31 oct. au 2 nov. 2025 Premier Congrès Yogakshemam International au Hameau de l’Etoile (Proche Montpellier).

À lire Moksa Mârga. La voie de la Libération. Un itinéraire dans la philosophie indienne de T.K. Sribhashyam.
Ed. Yogakshemam. 2021

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